Les organiques secoués
La nouvelle réglementation interdisant les effluents d’élevages industriels en bio et l’arrivée concomitante de produits d’importation douteux vient bousculer le secteur de la fertilisation organique.
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L’année 2021 n’aura pas manqué d’être sportive dans le secteur de la fertilisation organique. Et ceci dès le 1er janvier, date depuis laquelle les effluents issus d’élevages intensifs de volailles ou de porcs ne doivent plus être épandus sur des terres engagées en agriculture biologique. En l’absence d’une définition harmonisée d’élevages intensifs ou industriels en Europe, toujours en cours de discussion, des seuils temporaires ont été mis en place en France. Cela concerne les élevages comprenant plus de 85 000 emplacements pour poulets, 60 000 emplacements pour poules, 3 000 emplacements pour porcs de production et 900 emplacements pour truies. Les digestats issus de méthaniseurs composés de tout ou partie de ces effluents ne sont plus utilisables en bio non plus.
Fientes et lisiers exclus du bio
La place de ces effluents dans la fertilisation des cultures n’est pourtant pas négligeable. En termes d’unités fertilisantes, cela représente 4 800 t d’azote (qui permettent de fertiliser 50 000 ha de blé, soit environ un quart de la sole française en blé bio) et 5 000 t de phosphore exclues du marché du bio, au bas mot, selon une enquête d’Afaïa menée en 2017 et 2018 auprès de ses adhérents.
« 20 à 30 % des producteurs, principalement en grandes cultures, sont concernés par l’utilisation d’effluents issus d’élevages “industriels” et éprouvent des difficultés à s’en passer », avance Marianne Sanlaville, en charge de l’animation du comité grandes cultures bio à La Coopération agricole. D’après les données d’une autre enquête, celle de 2017 du ministère de l’Agriculture relative aux pratiques culturales, au niveau national, 18 % des surfaces de blé tendre, 15 % de celles de maïs grain, 25 % de celles de colza et tournesol reçoivent des fientes sèches de poules pondeuses. En blé tendre, 42 % de la potasse et 68 % du phosphore sont issus de ces effluents. L’importance des lisiers de porcs paraît en revanche moins élevée.
Les acteurs de la filière s’interrogent sur les conséquences multiples de cette mesure de restriction : manque de disponibilité d’autres matières fertilisantes pour l’AB, augmentation des prix et donc des charges en fertilisants, freins à la conversion, baisse de la fertilité des sols, impacts sur le rendement et la qualité des productions, rentabilité et durabilité des systèmes de grandes cultures en AB, remise en cause des objectifs de progression de la bio en France, risque d’importation de produits organiques douteux…
Un appel d’air pour l’importation
« Le retrait des fientes et lisiers crée une tension très claire sur certains produits comme les sous-produits animaux, les farines de viande, commente Dominique Billard, DG de Violleau, fabricant de fertilisants organiques dans les Deux-Sèvres. Ainsi, les engrais organiques se renchérissent de façon très importante. Les fientes sont toujours chères car elles trouvent leur place : les conventionnels, notamment dans le cadre des productions bas carbone, les utilisent. » Alors que l’agriculture biologique continue de progresser, cette situation crée un appel d’air pour l’importation de fientes, des Flandres ou d’Espagne, dont « personne n’a aucun moyen de savoir si elles respectent les seuils, glisse Laurent Largant, délégué général d’Afaïa. Cela génère des distorsions de concurrence dans tous les sens. »
Razzia sur l’Azopril
Malgré tout, le phénomène le plus marquant des deux dernières années, qui est lié aussi au précédent, c’est l’arrivée sur le marché de fertilisants dits « organiques », que certains appellent parfois les « billes noires » : Azopril, Orgamax et consorts, qui titrent 12 à 13 % d’azote, 25 à 30 % de soufre, et annoncent une origine végétale sans transformation chimique, donc utilisables en bio.
Riches en azote, faciles à stocker et à épandre, ils ont suscité un engouement sans précédent de la part des agriculteurs bio, au point d’être en rupture de stock. Et de la part aussi de certains distributeurs du coup (parfois même en créant des MDD), qui s’y sont engouffrés, prétextant que s’ils n’en vendaient pas, c’est le voisin qui allait le faire. En recoupant les sources, on arriverait à 30 000 à 40 000 t vendues lors de la campagne passée. « C’est terrible, ça a tué le marché français », témoigne un fabricant d’organiques traditionnels qui s’est fait très peur en début d’année avec des stocks plein les entrepôts. « Ça a fait du mal », dit un autre, qui a aussi subi un coup d’arrêt dans ses ventes.
Concernant l’Azopril N13, il est indiqué sur le site de Terram, son metteur en marché, qu’il s’agit d’un « fertilisant organique NK d’origine végétale », qu’il « ne contient aucun sous-produit d’origine animale (plume, sang, protéines animales transformées…). » Ce qui en fait tiquer plus d’un. Quel est alors le process de fabrication ? Selon Afaïa, qui a tiré la sonnette d’alarme dès le printemps, « les sources d’azote organique les plus riches proviennent de matières premières animales (corne broyée, sang desséché, farine de plumes, par exemple), qui atteignent ou dépassent 15 % d’azote. Du côté végétal, seuls certains tourteaux de soja, ou le gluten, très rarement utilisés en fertilisation pour des raisons économiques, approchent les 10 % d’azote. » Tout le monde présume en fait qu’ils contiennent au moins la moitié d’azote ammoniacal de synthèse. « Une teneur élevée en azote ammoniacal dans un engrais dit “organique” doit conduire à s’interroger sur un possible ajout d’azote de synthèse lors du process de fabrication », ajoute-t-on chez Afaïa.
Si la DGCCRF a expertisé ses produits au niveau documentaire, sans émettre de contre-indication, des analyses isotopiques ont montré que ces produits ont un profil qui ne se distingue pas des fertilisants azotés minéraux. Néanmoins, il n’y a pas aujourd’hui de méthode d’analyse officielle pour caractériser formellement, a posteriori, le caractère « organique » des fertilisants. C’est pourtant la crédibilité de la filière bio qui est en jeu. Sans compter le bilan carbone. Heureusement encore que rien n’est sorti dans la presse généraliste…
Retournement de situation
La dynamique pourrait être différente cette campagne, à la suite d’un retournement de situation en juin où la distribution a commencé à être plus prudente vis-à-vis de ces produits et à repartir sur des référencements avec des fertilisants plus traditionnels. Ecocert a en effet retiré ces produits de sa liste d’intrants utilisables en bio. Et il est désormais de notoriété publique que la DGCCRF et l’Anses sont sur le coup. Il va, semble-t-il, y avoir un sérieux coup de frein sur ces produits. Ils ont du plomb dans l’aile. D’autant que faire venir des produits de Chine par les temps qui courent, ce n’est pas aisé au niveau coût logistique. « On espère que la distribution renonce, mais nous avons des échos contradictoires, s’interroge Laurent Largant, qui précise que ces produits sont tout à fait légitimes à être vendus mais pas comme organiques et utilisables en bio. Ce sont des produits organo-minéraux, selon nous. »
Quel va être l’impact de ce phénomène, cumulé avec l’arrêt progressif d’utilisation des fientes et lisiers d’élevages intensifs en bio, sur les ventes de fertilisants organiques ? Difficile de le prédire, mais après une année 2020 où les volumes d’engrais organiques commercialisés par les adhérents d’Afaïa ont crû de 20 %, les fabricants font état d’une année 2021 contrastée, entre un premier semestre compliqué et une forte tension depuis la fin du printemps.
Ruptures de stocks
Le marché est en effet à nouveau demandeur, voire très demandeur, en lien aussi avec la flambée des engrais minéraux. C’est plus vrai pour les organiques, où le prix est davantage maîtrisé, que pour les organo-minéraux à haut dosage. Chez Angibaud, on procède même à une évaluation stricte avec une validation en commission dès qu’arrive une commande d’un distributeur : « On regarde avec précision nos stocks, souvent on peut dépanner sur 20-30 % des volumes demandés, mais guère plus », indique son directeur marketing, Gilles Nivelet. Laurent Largant relaie la situation tendue que vivent les entreprises : « Les fabricants sont très préoccupés. Ils ont à gérer la hausse des matières premières, notamment minérales, qui s’ajoute à celle des emballages, des palettes, de la logistique etc. Sachant qu’une mauvaise gestion des achats et des offres tarifaires peut mettre en péril des sociétés. »
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